Il y a quelques jours maintenant, j’avais écrit deux articles pour partager mes photos d’un week-end escapades dans les Vosges, avec ce détour au camp concentration au Struthof. J’avais également ajouté que je reviendrai d’ici quelques temps, avec un nouvel article, pour te faire part d’un élément quelque peu méconnu de l’histoire. J’avoue que lors de ma visite au camp, j’ai été surprise que ça ne soit pas plus mentionné. Et toi, sais-tu ce qu’il s’est passé au camp du Struthof, unique camp de concentration présent sur l’Alsace ? Alors, parce que j’ai craint un peu de faire une faute ou de mal retranscrire un fait historique, j’ai préféré faire appel à Bernard Wittmann (que je salue et remercie vivement), historien, pour écrire ces quelques mots. Prêt à connaître les heures sombres de l’après-guerre ?
Retour sur les heures sombres du Struthof
Le récit officiel français zappe généralement l’histoire des camps nazis du KZ-Struthof et de Schirmeck après leur libération par les Américains le 23 novembre 1944[1]. Le Mémorial de l’Alsace-Moselle à Schirmeck n’en dit mot… alors que les témoignages ne manquent pas[2]. Un « oubli » qui s’explique quand on sait que ces camps, qui venaient à peine d’être vidés de leurs malheureux occupants, dès décembre 1944 furent immédiatement remis en service par les FFI communistes. Réutilisés comme camps pour l’épuration et l’internement administratif jusque fin décembre 1945, ils furent le théâtre des pires abominations. En effet, le système punitif, le sadisme et les méthodes des nouveaux maîtres n’avaient souvent rien à envier à ceux des anciens tortionnaires nazis. Aux premières semaines de l’ouverture du camp, on recensait déjà 28 cas de décès suite aux coups. En mai 1945, on dénombrait toujours 2 morts par jour[3]. Une période qui n’est pas à la gloire de la République. Cette histoire reste d’ailleurs à écrire : un devoir de mémoire pour maintenir le souvenir de toutes les souffrances endurées dans ces lieux !
Des arrestations au motif « inconnu » !
En Alsace, on arrêtait alors à tort et à travers. Encouragés par les nouvelles autorités, les « corbeaux » prolifèrent. Sur beaucoup de dossiers, cette mention : « Motif de l’arrestation : inconnu ». C’est ainsi qu’en janvier 1945 et les semaines qui suivirent, des milliers d’Alsaciens, hommes, femmes, vieillards, ecclésiastiques, handicapés… furent trainés là-haut, à pied depuis Rothau et dans la haute neige, à coups de crosse, de gourdins, de nerfs de boeufs et de hurlements. Certains moururent en route d’épuisement ou des coups reçus.
Des milliers de prisonniers dans le camp du Struthof
L’historien Roland Oberlé chiffre à 7.000 le nombre des personnes internées à Schirmeck et au Struthof français[4]. D’anciens internés, comme l’institutrice Anni Kraenker[5] de Geispolsheim, avancent le chiffre de 10.000. Parmi ces derniers on trouve pêle-mêle d’authentiques collaborateurs, des Alsaciens de souche allemande, mais surtout un grand nombre d’autonomistes ou d’Alsaciens réputés germanophiles victimes des délateurs. On trouve aussi des miliciens en transit et quelques Allemands qui n’avaient pas réussi à passer la frontière à temps.
Au Struthof, le gros bataillon des internés est constitué par des milliers d’Alsaciens arrêtés et enfermés sans jugement. Ils sont étiquetés « collabos ». L’internement fut d’ailleurs étendu à des familles entières, enfants en bas âge et nourrissons compris, selon le principe nazi de la « Sippenhaft ». D’après l’historien Jean-Laurent Vonau, en janvier 1945, pas moins de 300 enfants étaient internés au Struthof[6].
Des dénonciations en pagaille contre l’autonomisme
D’après Camille Dahlet, on assiste alors à « une orgie de dénonciations »[7]. Parmi les Alsaciens, nombreux sont ceux victimes de dénonciations calomnieuses : « Beaucoup ont été arrêtés par malveillance », note Hervé de Chalendar (L’Alsace 6.2.2015). Leur seul crime est souvent d’avoir été engagés avant la guerre dans la lutte pour l’autonomie et l’identité linguistique et culturelle alsacienne. Leur arrestation avait pour but de criminaliser l’autonomisme et décapiter toute l’opposition politique au jacobinisme. On pensait ainsi intimider les anciens Heimatrechtler pour les dissuader de reprendre la lutte. D’ailleurs, après des mois de souffrance, la plupart d’entre eux seront relâchés faute de charges : « Arrêté par erreur » ! Pour les jacobins, de retour aux manettes, il s’agissait d’empêcher que ne se reconstitue un mouvement autonomiste : « L’épuration a été un sinistre règlement de compte politique » en vue d’éradiquer à jamais l’autonomisme, écrit Camille Dahlet.
Les conditions des prisonniers du camp de Natzwiller
Au Struthof, soumis aux brutalités quotidiennes, aux privations et aux humiliations, les conditions des internés sont terribles. Certains, livrés au sadisme et à la cruauté des gardiens, généralement choisis parmi d’anciens internés du temps des nazis, subirent les pires sévices qui les conduisirent à la mort. C’est le cas de l’abbé Brauner, ancien membre de l’aile autonomiste de la Volkspartei (UPR) et directeur des archives et de la bibliothèque municipale de Strasbourg, mort après que ses tortionnaires lui eurent administré 100 coups de bâton : « Le comportement des gardiens français ne le cédait en rien, en violence et en brutalité, à celui de la chiourme nazie », écrit Roland Oberlé[8]. Le Frère Médard, traite le commandant du camp, le communiste Rohrfritsch, d’« émule alsacien des bourreaux nazis »[9]. La sous-alimentation, les mauvais traitements, le froid et la maladie eurent raison des plus faibles. On les enterra dans un petit cimetière à proximité du camp dont on effacera ensuite toute trace. La situation des camps ne commença à s’améliorer qu’à partir d’août/septembre 1945.
Les camps d’internement administratifs du Struthof et de Schirmeck furent fermés fin décembre 1945. Le site sera alors transformé en centre pénitentiaire où l’internement n’est plus administratif mais pénal. Il sera définitivement fermé en 1949[10].
Bernard Wittmann – Historien
Notes de l’auteur :
[1] Quand le camp fut libéré par l’armée américaine, il avait déjà été vidé peu avant par les nazis.
[2] En 2013, le Tagebuch de l’abbé Lucien Jenn, interné du 12 janvier au 22 décembre 1945, a été remis à la directrice du CERD Mme F. Neau-Dufour qui, dans une lettre du 25.3.2013, a dit avoir été « passionnée par sa lecture, à la fois parce que ce type de récit sur le camp du Struthof après novembre 1944 est très rare (sic), et parce que le récit est en soi précis, détaillé, concret, et qu’il donne à voir une réalité encore mal connue ». Cette lettre ne fut pourtant pas suivie d’effet. Il existe d’autres témoignages comme ceux de l’institutrice Anni Kraencker, de l’archiviste Helmut von Jan, d’Ernest Buckenmeyer…
[3] P. Schall, Die Epurationsperiode in Elsass-Lothringen, brochure, Karlsruhe avril 1970, p.15.
[4] Les Loups Noirs, Alsatia-Union, 1990, p.180)
[5] Bericht der Lehrerin Anni Kraencker von Geispolsheim (Elsass) – Häftling Nr. 3 130 im Konzentrationslager vom Struthof unter französischer Zeit.
[6] Sur la chaîne « Histoire » le 14.7.2013 – L’Épuration en Alsace.
[7] Les Cahiers Verts, août 1945, p.9.
[8] Les Loups Noirs, Alsatia-Union, 1990, p.
[9] Mémoires, éd. Bueb & Reumaux, Nuée Bleue, 1988, p.238.
[10] Robert Steegmann, Le camp de Natzweiler-Struthof, Seuil 2009, p.353.
Remerciement à Bernard Wittman
Je tiens à remercier très chaleureusement Bernard Wittmann pour ces quelques mots. Il me tenait à cœur qu’on sache aussi que l’après-guerre, n’a pas été salutaire pour tout le monde ! N’oublions pas ces femmes rasées et humiliées sur la place publique car elles étaient tombées amoureuse ou enceinte de soldats allemands. N’oublions pas ces innocents incarcérés dans le camp du Struthof parce qu’ils ne pensaient pas « comme dans la norme ».
En ces temps difficile, où une nouvelle crise sanitaire ne nous épargne pas depuis pratiquement 2 ans maintenant, j’aimerai transmettre un message d’amour et de fraternité. Je ne pense peut-être pas comme toi ! Je ne suis pas comme toi après-tout ! Mais, j’aimerai que tout de même, nous nous acceptions avec nos différences. Acceptons que nous ne puissions pas entrer dans le même moule. Et continuons tout de même à partager. Et je te souhaite, à toi qui me lis, tout du bon pour les mois à venir ! Que les ennuis t’épargnent ! Et que tu puisses continuer, avec ta famille, tes proches, tes amis, à jouir des bienfaits de la vie.
Bien à toi,
Ta dévouée,
LaPtiteAlsacienne
Place aux photos que j’ai réalisé sur le camp du Struthof lors de ma visite courant du mois de Juillet 2021.
Quant aux visites, avec le pass-sanitaire qui est actuellement mis en place, je t’invite plutôt à consulter leur site internet, qui doit tenir leurs informations à jour.
Coordonnées du Camp de Concentration du Struthof :
Adresse : Route départementale 130 – 67130 Natzwiller
Téléphone : 03 88 47 44 67
Mail : info@struthof.fr
Site internet : www.struthof.fr
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Toutes les photos de cet article sont mes photos et les textes les miens, et sont donc, ma propriété. Si tu souhaites utiliser les photos, n’hésite pas à me les demander via mail, je pourrai ainsi te les envoyer en haute qualité. Tu n’oublieras pas de me mentionner et de faire lien vers mon site. Merci de bien vouloir respecter le travail réalisé.
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Merci pour ce (trop rare) témoignage… Pour ma part, je connaissais ces faits, ayant un membre de ma famille déporté (avec sa femme enceinte…) par les Français, pour, soit disant, « faits de collaboration »… En réalité, cet Alsacien de vieille souche, n’avait jamais caché sa satisfaction de redevenir allemand en 1940 et de voir les Français s’en aller… Il n’a jamais ni porté l’uniforme allemand, ni porté d’arme, ni dénoncé, ni ne s’est enrichi, ni n’était membre du parti nazi, contrairement à tant d’Alsaciens qui ont joué aux grands patriotes, après 1945… Cet homme n’avait donc collaboré en rien ! Il a juste été déporté pour délit d’opinion et dans l’esprit d’épurer l’Alsace…
J’ai aussi eu accès tout jeune au récit d’un fils de déporté au Strutthof par les Français…
Dans mes souvenirs, il me semblait que le camp avait fonctionné sous administration de l’armée française jusqu’en 1947… A cette date, une inspection diligentée par la Croix Rouge Internationale (venue de Suisse…) avait/aurait conclu à, je cite: « des conditions d’internement dignes de la Gestapo » !… Un rapport qui a entrainé la fermeture catastrophée du camp sous les deux semaines…
Bien que de formation historique, je n’ai jamais enquêté personnellement sur ces faits (les trouvant trop glauques) et je ne rapporte ici que des témoignages oraux, par moi reçus, au hasard de mes rencontres…
Il va de soi que jamais un étudiant en Histoire n’a souhaité enquêter ni écrire de thèse sur ce sujet…
C’est bien dommage !… et en dit long sur l’objectivité historique des recherches et écrits sur l’Alsace, période 1940-1947, écrits et témoignages type « Nuée Bleue », qui semblent exclusivement destinés à encenser la France et à traîner l’Allemagne et les Allemands dans la boue…
Ce n’est pas la bonne méthode pour appréhender l’Histoire !
Je me souviens également d’une visite tout jeune au camp du Strutthof…
Visite lors de laquelle, j’ai été très impressionné par une photo d’un casque à vis et dont les vis pénétraient dans le crâne à force d’être tournées…
L’on me dit que cette photo venait en fait d’un autre camp… Pas du Strutthof ?
Alors pourquoi la présenter au Strutthof, comme s’il s’agissait d’un « souvenir du camp » ?
Autre photo m’ayant bien marqué, celle d’un bain de formol contenant des morceaux de corps humains…
Assez répugnant et révoltant, je dois dire…
J’ai appris depuis, que n’importe quelle faculté de médecine dans le monde entier avait de tels réservoirs (à l’époque) pour l’étude anatomique et les dissections de ses étudiants…
Alors quel besoin de venir présenter une telle photo comme preuve de la barbarie des nazis ?
N’y a t’il pas suffisamment de preuves de cette barbarie, par ailleurs, sans en rajouter ?
Dérangeant !
Aucune tentative de révisionnisme dans mes propos !
Pour moi, la Shoah, hélas, est bien une réalité…
Il faut juste se souvenir que le Strutthof était un « camp de concentration » et non un « camp d’extermination » comme Auschwitz et cette différence n’était pas que subtile. Elle a été soulignée par Eugen Kogon, un catholique et socialiste déporté à Dachau dès 1935 et qui a écrit après 1945 « L »État SS » sur le système concentrationnaire nazi… Un système qu’il connaissait bien ayant passé dix ans de sa vie à Dachau.
Les historiens parlent de plus en plus d’amnésie en ce qui concerne les crimes et le système concentrationnaire des Soviétiques et d’hypermnésie dans le cas des crimes et du système concentrationnaire nazi: amnésie totale (et confortable) dans un cas, commémoration et culpabilisation constante dans le cas des crimes nazis…
Un concept intéressant… mais assez dérangeant…